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LE MISSEL DES FEMMES

et de jeunesse, dont il nous donne aujourd’hui même, sous le nom de Feuilles détachées, une suite diverse et mêlée. Ces feuilles ont un parfum d’amour. M. Ernest Renan, qui vit dans une noble familiarité avec toutes les formes du beau et du bien, se montre sensible à la beauté des femmes, effet évident des desseins de Dieu sur le monde. De même que Arnauld d’Andilly avait du penchant à sauver les âmes qui étaient dans un beau corps, M. Renan éprouve une satisfaction particulière à édifier les dames.

Anacréon de Téos voulait être sandale pour être foulé aux pieds par sa bien-aimée. Notre maître spirituel sanctifie ce souhait profane. Il voudrait être paroissien entre de belles mains pieuses. « Je ne cacherai pas, en effet, dit-il, que, de tous les livres, celui qui me fait le plus d’envie, c’est le livre de messe… Ma dernière ambition sera satisfaite si je peux espérer entrer à l’église, après ma mort, sous la forme d’un petit volume in-18, relié en maroquin noir, tenu entre les longs doigts effilés d’une main finement gantée. »

Et M. Renan rêve de composer un eucologe « tissu d’or et de fin fin », digne de recevoir « le regard abandonné de la femme ».

« Privilège enviable, dit-il encore, que celui de ces livres qui ont le droit d’être lus à l’église, par les femmes pieuses, au moment où, les yeux baissés, sans distractions, elles tiennent toutes leurs pensées recueillies devant Dieu, n’ayant rien au cœur que de tendre, d’aimable et de bon ! Je souhaite souvent de vivre en quelques phrases que puissent, à ce moment-là, parcourir des yeux celles à qui l’ancien missel ne suffit plus. Hélas ! je ne sais si cela me sera