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LA VIE LITTÉRAIRE

donné ! » (L’Amour et la Religion, cinquième morceau des Feuilles détachées).

Les livres liturgiques se forment lentement et par un progrès mystérieux. Il est difficile d’imposer aux âmes un paroissien, fût-ce même un paroissien laïque. Mais je suis bien persuadé que les béatitudes et les fioretti de M. Ernest Renan serviraient merveilleusement à l’éducation des femmes du vingtième siècle. Elles y trouveraient une morale à la fois douce et pure, un enseignement sans dogmes, mais chrétien encore par l’esprit ; elles y apprendraient que Dieu sera juste et bon s’il parvient jamais à se réaliser et à prendre conscience de lui-même, comme l’espèrent fermement ceux qui l’invoquent des lèvres et du cœur en disant : « Que ton règne arrive ! » Elles y apprendraient encore que les bonnes actions et que les belles pensées préparent ce règne à jamais futur, et elles diraient : « Seigneur Dieu, notre beauté t’annonce et notre vertu te prophétise. »

M. Renan fut, comme Joas, nourri dans le Temple, et cette éducation imprime à ses sentiments une originalité profonde. Son enfance s’écoula dans la petite ville de Tréguier. Il en aimait le clocher ajouré, les cloîtres et les tombes ; il en aimait la pieuse tristesse. Il n’était à l’aise que dans la compagnie des morts, « près de ces chevaliers, de ces nobles dames dormant d’un sommeil calme, avec leurs levrettes à leurs pieds et un grand flambeau de pierre à la main ». Les enseignements qu’il y reçut se gravèrent profondément dans son âme, la plus pieuse qui soit au monde. La règle des mœurs était le point sur lequel les bons prêtres de Tréguier insistaient le plus dans leurs sermons.