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LA VIE LITTÉRAIRE

la croyant au ciel, l’invoquaient dans leurs oraisons. Mais elle leur apparut un jour, pâle, avec des flammes attachées à sa robe. « Priez pour moi, leur dit-elle. Du temps que j’étais vivante, joignant un jour mes mains pour la prière, je songeai qu’elles étaient belles. Aujourd’hui, j’expie cette mauvaise pensée dans les tourments du purgatoire. Reconnaissez, mes filles, l’adorable bonté de Dieu, et priez pour moi. » Il y a dans ces minces ouvrages de théologie enfantine mille contes de cette nature, qui donnent trop de prix à la pureté pour ne pas rendre en même temps la volupté infiniment précieuse.

Il ne faut pas s’y tromper. Le christianisme a beaucoup fait pour l’amour en en faisant un péché. Il exclut la femme du sacerdoce. Il la redoute. Il montre combien elle est dangereuse. Il répète avec l’Ecclésiaste : « Les bras de la femme sont semblables au filet des chasseurs, laqueus venatorum. » Il nous avertit de ne point mettre notre espoir en elle : « Ne vous appuyez point sur un roseau qu’agite le vent, et n’y mettez pas votre confiance, car toute chair est comme l’herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs. » Il craint les ruses de celle qui perdit le genre humain. « Toute malice est petite comparée à la malice de la femme. Brevis omnis malitia super malitiam mulieris. » Mais par sa crainte même il la rend puissante et redoutable.

En considération de leur beauté, l’Église fit d’Aspasie, de Laïs et de Cléopâtre des démons, des dames de l’enfer. Quelle gloire ! Une sainte même n’y serait pas insensible. La femme la plus modeste et la plus austère qui ne veut ôter le repos à aucun homme voudrait pouvoir l’ôter à tous les hommes. Son orgueil s’accommode des précautions que l’Église