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LE MISSEL DES FEMMES

Ces prédications, dit-il, avaient quelque chose de solennel qui m’étonnait… Tantôt c’était l’exemple de Jonathan mourant pour avoir mangé un peu de miel… Cela me faisait faire des réflexions sans fin. Qu’était-ce que ce peu de miel qui fait mourir ?… Ce qui mettait le comble à mes préoccupations était un endroit de la vie de je ne sais quel saint personnage du dix-septième siècle, lequel comparait les femmes à des armes à feu qui blessent de loin. Pour le coup, je n’en revenais pas ; je faisais les plus folles hypothèses pour imaginer comment une femme ressemble à un pistolet. Quoi de plus incohérent ? La femme blesse de loin, et voilà que, d’autres fois, on est perdu pour la toucher. C’était à n’y rien comprendre.

Le vieux sermonnaire breton et son jeune auditeur me rappellent un verset de l’Imitation paraphrasé par Corneille, qui fait entendre à quel point l’Église redoute les filles d’Ève :

Fuis avec un grand soin la pratique des femmes ;
Ton ennemi par là peut savoir ton défaut.
Recommande en commun aux bontés du Très-Haut
Celles dont les vertus embellissent les âmes.
Et, sans en voir jamais qu’avec un prompt adieu,
Aime-les toutes, mais en Dieu.

Pour comprendre tout le sens de ces maximes, il faut avoir fréquenté les mystiques. Il faut surtout avoir coulé son adolescence dans une atmosphère religieuse. Il faut avoir suivi les retraites et les pratiques du culte.

Il faut avoir lu, à douze ans, ces petits livres édifiants qui ouvrent le monde surnaturel aux âmes naïves. Il faut avoir lu l’histoire de saint François de Borgia contemplant le cercueil ouvert de la reine Isabelle, ou l’apparition de l’abbesse à ses filles. Cette abbesse était morte en odeur de sainteté et les religieuses qui avaient partagé ses travaux angéliques,