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LA VIE LITTÉRAIRE EN 1846

vœux seront comblés et le nom de Monselet demeurera gracieux et plaisant à la petite troupe des connaisseurs, qui se reforme d’âge en âge. Si j’en crois mon propre sentiment, ils l’estimeront à l’égal de l’abbé de Longuerue, et ce n’est pas peu dire, car Longuerue est exquis. J’en appelle aux gens entendus, qui vivent dans les bibliothèques.

Disons tout d’abord que, sur un point, M. André Monselet a facilement gagné sa cause. Il a montré jusqu’à l’évidence que la vie de son père fut celle d’un brave homme de lettres, innocent et laborieux, qui prit beaucoup de peine en ce monde et ne subsista qu’à force de travail et de talent. M. Jules Claretie rapporte, dans sa très agréable préface, qu’un jour Monselet disait à notre confrère Francisque Sarcey, non sans une pointe de mélancolie : « On me traite de paresseux, et vous aussi vous croyez à ma paresse légendaire. La vérité est que j’ai à moi tout seul écrit plus que Voltaire et Diderot, et qu’on emplirait une bibliothèque avec mes articles. » Pourtant il avait, comme la plupart des délicats, le travail difficile, et la moindre bagatelle lui donnait beaucoup de mal. Un poète, qui fut son collaborateur et son ami de la dernière heure et qui écrivit avec lui un acte en vers, l’Ilote, représenté en 1875 à la Comédie-Française, M. Paul Arène, connut le secret de cette vie qu’on croyait insouciante et joyeuse et qu’occupait un labeur incessant. Il vit que cet épicurien aimait surtout ses enfants et ses livres, et il donna son témoignage : « Monselet, dit-il, travailla beaucoup, et travailla surtout pour sa famille. Il eut jusqu’à la fin toutes les vertus patriarcales et bourgeoises, ce joyeux M. de Cupidon, que la légende représente fourchette en main et couronné