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LA VIE LITTÉRAIRE

de roses. » J’ai parlé de son innocence ; elle est digne d’être louée, si l’on songe qu’avec un esprit acéré l’auteur de la Lorgnette littéraire n’envenima jamais ses traits. Il ignora toujours la haine et l’envie et garda jusqu’au bout le culte des maîtres. Il avait du courage, car il en faut pour être gai toute la vie : la frivolité n’y suffit point.

Je tiens de M. Paul Arène lui-même que M. de Cupidon attendit la mort en homme d’esprit, et qu’il sut, comme au dix-huitième siècle, partir sur un bon mot. Il y a un curieux petit livre sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant. Monselet ne fut point un grand homme ; mais, si l’on donnait une suite à ce livre et qu’on en voulût élargir un peu le cadre, voici un trait qu’on y pourrait faire entrer. Monselet se mourait comme on meurt d’une maladie de cœur, dans un fauteuil, avec une entière connaissance de son mal et des suffocations atroces. Un jour, M. Arène lui annonça pour le lendemain une consultation de six médecins, et lui dit ce qu’on peut dire en pareille circonstance, pour rassurer le malade. Mais M. de Cupidon savait à quoi s’en tenir :

— Six médecins, s’écria-t-il, là, autour de moi ! Mais, dis-moi, mon ami, auront-ils au moins des bonnets carrés ?

Il restait, comme on voit, jusqu’à la dernière heure dans la tradition de ce siècle aimable qu’il avait tant étudié et dont il s’était efforcé de rappeler, dans ses livres, « les publiés et les dédaignés ».

La publication de M. André Monselet, qui contient beaucoup de pièces intéressantes, est surtout riche en documents sur l’enfance et sur la jeunesse de l’écrivain. C’est donc ce temps déjà lointain que