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LA VIE LITTÉRAIRE

le petit Charles Monselet fit sa nourriture. Cet appétit de lecture semblera étrangement précoce, si l’on songe qu’en 1834, à neuf ans, l’enfant avait tout dévoré. À cette époque, M. Monselet père abandonna son salon littéraire de la place Graslin et retourna à Bordeaux, où il établit un dépôt de beurre de Bretagne, sur les allées de Tourny. Son fils, en quittant Nantes avec lui, emportait le cabinet de lecture dans sa tête. Pâtres, tyrans, Eugénie, Célestine, Cordelia l’accompagnaient. On en douterait, si l’on n’avait pas à cet égard son propre témoignage. Mais, en 1852, dans sa vingt-septième année, et déjà connu comme journaliste, se trouvant de passage à Nantes, il voulut revoir les livres de son enfance. Le salon littéraire de la place Graslin appartenait alors à un nommé Planson. Voici ce que Charles Monselet écrivait à son père après une visite à Planson :

Il faut que je vous dise que j’ai noué connaissance avec votre successeur… Je lui ai bouleversé sa bibliothèque pendant plus de deux heures ; c’était là que je voulais en venir, car je tenais à revoir la plupart des livres que j’ai tant feuilletés autrefois. J’ai monté à l’échelle et fouillé dans les plus obscurs rayons ; vous jugez de la poussière que j’ai soulevée ; Planson n’avait pas l’air très content… La majorité des livres est toujours à sa place habituelle, tels que le répertoire des mélodrames, les petits romans, etc. Enfin, lorsque ma curiosité a été bien satisfaite, j’ai tiré de ma poche trois sous que j’ai gravement donnés à Planson. Ainsi s’est terminée cette première et mémorable visite.

Il n’en faut donc point douter, Charles Monselet, à neuf ans, connaissait les petits romans et le répertoire des mélodrames. Au reste, il passait à Bordeaux pour un petit prodige. À la pension Benoit,