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LA VIE LITTÉRAIRE EN 1846

dans la rue de Gourgues, il faisait des vers que le Mémorial bordelais insérait en promettant un bel avenir à ce collaborateur de quatorze ans. À la fin de ses classes, Charles Monselet, commis chez un négociant en vins des Chartrons, donnait des articles de critique au Courrier de la Gironde et des pièces au théâtre des Variétés, aujourd’hui Théâtre-Français. Il fut même joué sur le Grand-Théâtre, qui l’emporte de beaucoup sur tous les théâtres de France par le beau style Louis XVI de son architecture et de sa décoration. Il était né journaliste et homme de lettres. Jamais vocation ne fut plus précoce ni plus impérieuse. Désormais, sa destinée était fixée : il saurait plaire par le bien dire, il aurait le charme, l’agrément ; il aurait l’esprit de finesse et la curiosité heureuse, mais non point ce je ne sais quoi qui étonne, la force soudaine. Monselet l’a dit lui-même très joliment :

Le principal était de vivre.
Fidèle au : tel père tel fils.
Ma ressource devint le livre ;
Mon père en vendait, moi, j’en fis.

Il savait bien qu’il ne pourrait vivre de sa plume qu’à Paris. À vingt et un ans, il fit de grands adieux aux chais et aux barriques, et, quittant les Chartrons, il prit la diligence Laffitte et Gaillard, arriva à Paris le 19 juin 1846, et s’alla loger vis-à-vis de la Porte Saint-Denis.

Mais il se lassa de voir sans cesse la prise de Maestricht et il loua une chambre garnie sur la place du Carrousel, qui était alors couverte de ruelles et encombrée d’échoppes et de baraques. C’est là qu’en voyant un cygne dans un ruisseau