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LA VIE LITTÉRAIRE

ascétique, que les contemporains, nourris de l’antiquité, comparaient à la sibylle de Cumes.

Elle professait le dogme de l’immortalité des âmes et des corps.

Ne devant jamais finir elle-même, sa destinée était de vieillir jusqu’à soixante-dix ans, puis de redevenir éclatante de fraîcheur et de beaufé pour l’opération miraculeuse de l’enfantement du Verbe, réservé de tout temps au salut du monde.

Il était écrit : À la naissance du Verbe la terre tremblera trois fois, les idoles et les temples seront renversés, les trônes des rois mis en poudre.

Ces signes, qu’on pouvait tenir pour manifestes en 1794, devaient être suivis de merveilles plus particulières.

Le grand œuvre devait s’opérer au local des ci-devant Écoles de droit, près le Panthéon. Pendant cette nuit bienheureuse, disait-elle, Dieu mettra un mur d’airain entre l’homme et la femme : les enfants tressailleront dans le sein de leur mère, une étoile resplendissante s’arrêtera sur ce lieu, dès lors sacré pour tous les peuples. Au lever de l’aurore, la terre paraîtra riante de fleurs, de fruits et de moissons, comme le Paradis terrestre de nos premiers pères.

La Mère de Dieu prophétisait que l’Être suprême régirait seul l’univers, confondant l’orgueil des hommes vains et ignorants, conduisant les armées à la victoire, aplanissant les montagnes, desséchant les mers, fortifiant les justes et les simples.

En résumé, ces niaiseries apocalyptiques se rattachaient çà et là aux événements politiques. C’en était assez pour amuser la crédulité des esprits faibles. On était admis dans la petite église après une sorte