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CATHERINE THÉOT

nuire à l’économie de son excellent livre. Mais j’écris aujourd’hui pour ceux qui aiment les curiosités et que l’anecdote amuse, et, certes, on peut dire que cette affaire de la Mère de Dieu est anecdotique au vrai sens du mot, si l’on entend par là qu’elle est non pas inconnue, mais pleine d’obscurités.

Catherine Théot était une paysanne normande qui avait prophétisé dès l’enfance. Elle s’annonçait comme la mère d’un nouveau messie. Enfermée d’abord au couvent des Miramiones, à Paris, elle n’en sortit que pour se répandre publiquement en toutes sortes d’extravagances qui eurent pour effet de la faire mettre à la Bastille. Transférée ensuite à la Salpêtrière, elle y était encore quand la Révolution ouvrit les portes des prisons d’État et des hôpitaux. Elle put jouir enfin et de la liberté et d’un crédit inattendu. Les époques agitées sont très favorables à l’esprit prophétique. Elle fut très bien accueillie par la duchesse de Bourbon et même elle forma bientôt, dans un grenier de la rue Contrescarpe, sous le Panthéon, une petite église de trente ou quarante fidèles, hommes, femmes et enfants. Ce petit peuple comptait quelques dévotes, des mesmériens, des illuminés, un vieux soldat ; sans doute aussi, des contre-révolutionnaires se glissèrent dans cette obscure et louche société. Les deux adeptes les plus en vue étaient Quévremont de La Motte, médecin en titre du duc d’Orléans, disciple de Mesmer, grand magnétiseur, et dom Gerle, un ancien chartreux qui avait porté à la Constituante, dans les rangs du tiers, sa robe de bure, et qui gardait jusque dans les clubs, une âme pleine des diableries du cloître. Catherine Théot avait soixante-neuf ans en 1794. C’était une grande femme, d’une maigreur