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LA VIE LITTÉRAIRE

32,639 livres, qui fut réduite à 31,719 livres et probablement ne fut jamais payée. Le malheureux Aubert réclamait encore, après le 9 thermidor, le prix de ses travaux pour la fête « de Thète suprême ». Ils lui avaient été commandés, disait-il, « dans un temps de despotisme » et lui avaient occasionné de grandes dépenses. Il est bien probable qu’il réclama vainement et que le nouveau culte fit faillite à son tapissier comme au reste du monde.

Robespierre prononça deux discours à cette fête, l’un sur une estrade de style grec adossée au palais des Tuileries, l’autre sur la montagne du Champ de la Réunion. Il fut, dit-on, entendu au loin. On sait d’ailleurs que, si sa voix n’était pas très forte, la parfaite netteté de sa diction lui assurait un avantage marqué sur les autres orateurs.

En ce jour où sa puissance était si grande et sa chute si proche, il tint la tête du cortège, seul, à une grande distance de ses collègues encore asservis, déjà menaçants. Il était vêtu de l’habit bleu barbeau et de la culotte de nankin qui sont restés légendaires, comme la redingote grise de Napoléon. Il tenait à la main, ainsi que tous les conventionnels, un bouquet de blé, de fleurs et de fruits. C’est sous cet aspect qu’il est fixé pour toujours dans la mémoire. C’est ainsi qu’on verra éternellement cet homme idyllique et cruel, au visage de chat mystique. Cette fête, ces pompes, ce culte étaient son œuvre. Il était vraiment le fondateur du nouveau culte.

Le Contrat social lui en avait apporté la révélation écrite. En instituant un déisme d’État, il n’avait fait que s’inspirer des doctrines de Jean-Jacques. Dans un endroit du Contrat social cité par M. F.-A. Aulard, le philosophe de Genève s’exprime de la sorte :