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Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/202

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LA VIE LITTÉRAIRE

pourvu qu’on les laissât honorer en paix les saints du calendrier, ne faisaient point difficulté d’ajouter à la litanie les saints de la Révolution, Marat, Chalier et Le Peletier. On a, de ce temps-là, des assiettes en faïence de Nevers représentant de saintes femmes avec cette légende : sainte Catherine, sainte Madeleine, bonnes citoyennes. Était-il à propos de contrarier une piété si accommodante ? Chaumette et les hommes de la Commune avaient contristé les bonnes gens sans profit pour la République. Robespierre avait toujours vu avec un extrême déplaisir cette guerre à la religion. Le sentiment religieux était très fort en lui. M. Aulard a dit excellemment qu’il était catholique comme Jean-Jacques était calviniste. Il ne pratiquait pas ; mais il s’exaltait dans des méditations religieuses. Les athées lui faisaient horreur. Il tenait leurs idées pour immorales, et, comme il croyait simplement que les idées formaient les mœurs, il accusait d’immoralité tous ceux qui ne croyaient point en Dieu. Avec cette mauvaise foi ingénue et terrible des sectaires, il dénonçait ses ennemis comme athées, ce qui, dans sa dure et étroite tête, voulait dire contre-révolutionnaires et méritait la guillotine. « L’athéisme est aristocratique », disait-il un jour, et, si l’on ne savait que ce mot est d’un sectaire, on pourrait croire qu’il est d’un homme d’esprit.

Enfin, sans avoir dans l’âme la souplesse d’un politique et les ressources d’un diplomate, il était très frappé du mauvais effet que l’irréligion révolutionnaire des Français produisait, au dehors, dans toute l’Europe attachée aux diverses formes de la religion chrétienne. Pour toutes ces raisons, il était favorable aux catholiques et il laissait voir son senti-