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LA FÊTE DE L’ÊTRE SUPRÊME

ment autant que l’état des partis le lui permettait. Le discours qu’il prononça aux Jacobins, le 1er frimaire an II (21 novembre 1793), témoigne avec une clarté suffisante de ces sentiments. Voici, en effet, ce qu’on y trouve :

On a supposé qu’en accueillant les offrandes civiques la Convention avait proscrit le culte catholique.

Non, la Convention n’a point fait cette démarche téméraire. La Convention ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes, qu’elle a proclamée, et de réprimer en même temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l’ordre public ; elle ne permettra pas qu’on persécute les ministres paisibles du culte et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu’ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les préjugés et le royalisme contre la République. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe : ils la diront plus longtemps si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe.

On conçoit que les catholiques aient formé de grandes espérances sur l’homme puissant qui parlait de la sorte. M. F.-A. Aulard voit dans l’institution du culte de l’Être suprême un nouvel et décisif effort du dictateur pour rassurer les catholiques, que la Révolution avait irrités et désespérés. Je crois savoir que le docteur Robinet, qui prépare en ce moment un grand travail sur les idées religieuses de la Révolution, est du même sentiment.

En ce sens, par la fête de l’Être suprême le chef de la Convention préludait, dans des conditions difficiles, à la politique que suivit Bonaparte, à l’heure favorable, quand il rouvrit les églises et signa le Concordat. Le nouveau culte il est vrai, tel que Robespierre le définissait, présentait un caractère purement