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LAMENNAIS

Il a démêlé, en homme d’État, les rapports du prêtre ultramontain avec la curie romaine, et l’intrigue qui se dénoua par l’encyclique Singulari nos lui fournit la matière d’un des plus intéressants chapitres de son livre. Mais ce n’est pas tout encore. Il a pénétré l’âme impénétrable du prêtre et surpris la pensée de l’abbé de Lamennais jusque sur l’autel. Cette intelligence est l’effet d’une sorte d’amitié qui le porte vers toutes les pensées hautes et pieuses. Car on ne peut s’y tromper : affranchi de tout dogme et étranger à toute confession, M. Spuller n’en est pas moins une nature religieuse ; si, comme on peut le croire, il y a de la religion dans le respect des consciences, dans l’amour de la liberté et dans le zèle d’un cœur qui veut la paix et la dignité des âmes. Enfin, cette douceur profonde qui se fait sentir dans cet esprit grave, d’une gravité parfois un peu lente, met un charme sur ce livre que tout autre, peut-être, eût conçu avec moins d’humanité.

Félicité de Lamennais, qu’on nommait Féli dans le cercle étroit où il inspirait le plus tendre enthousiasme, n’eut jamais ce qu’on appelle, en langage religieux, la vocation du sacerdoce. Non qu’il manquât de foi. La foi était, au contraire, le premier besoin de son âme. Il avait faim et soif de croire. Le doute l’effleura peut-être, mais ne lui fit point une blessure profonde. Les brusques révoltes de l’esprit sont fréquentes au début, chez les prêtres, et Bossuet lui-même semble avouer, dans un de ses sermons, que les pièges de la raison ne lui étaient point inconnus. Ce qui manquait à Lamennais, c’était la joie. La vocation du prêtre est faite autant de joie que de foi. C’est à une sorte d’allégresse intérieure que les vieux prêtres reconnaissent l’élec-