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LA VIE LITTÉRAIRE

Chesnaye, le Chrysostome breton, en qui ses disciples, les abbés Salinis, Lacordaire et Gerbet, saluaient uu nouveau père de l’Église, avant les foudres romaines. Sans doute enfin nous avons gardé le souvenir un peu flottant de vingt-cinq ou trente versets bibliques que les faiseurs d’anthologies empruntent aux Paroles d’un croyant. En somme, quelques traits d’une histoire à demi légendaire et quelques lignes détachées, mal senties et mal comprises, voilà ce qui demeure dans le domaine public de ce grand Lamennais. Pourtant son action sur l’Église fut forte et durable. Elle continue encore aujourd’hui.

En suivant dans sa vie et dans son œuvre l’auteur de l’Essai sur l’indifférence, M. Eugène Spuller marche sans cesse sur des cendres chaudes et sur un feu à peine couvert. L’histoire de Lamennais est encore brûlante. C’est une merveille de voir M. Spuller s’y avancer d’un pas prudent et sûr. L’ancien ministre de l’Instruction publique est trop connu pour qu’on ait besoin d’indiquer la direction de son esprit. On devinait d’avance que les sympathies de ce ferme républicain seraient acquises au Lamennais libéral de la dernière heure, et l’on n’est pas surpris de trouver, en effet, dans la belle étude que je signale au lecteur, un exposé bienveillant, un tableau chaleureux de l’évolution finale du grand théocrate vers la démocratie. Mais on se tromperait bien si l’on croyait que M. Spuller a passé sans s’y intéresser profondément sur les phases orthodoxes de cette vie singulière. Ce sont là, au contraire, des parties qu’il a traitées avec tout le soin et toute la curiosité d’un esprit rompu aux affaires ecclésiastiques, et très attentif à suivre la politique de l’Église.