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LA VIE LITTÉRAIRE

le journal l’Avenir, qui, dans sa brillante existence d’une année, réclama la liberté d’enseignement et la séparation de l’Église et de l’État. On sent bien dans quel esprit et dans quelles espérances cette séparation et cette liberté étaient souhaitées par des catholiques qui rêvaient la domination de la papauté sur les peuples.

Lamennais, qui, dans la vaste solitude de son génie, luttait ainsi pour la papauté contre le gouvernement royal et le clergé de France, eut la pensée à la fois audacieuse et candide de solliciter du saint-père une approbation qu’on ne devait pas attendre de la prudence romaine. L’abbé de Lamennais partit pour Rome avec ses deux principaux collaborateurs, Montalembert et Lacordaire. Les pèlerins de Dieu et de la liberté, comme ils s’appelaient eux-mêmes, furent congédiés sans une réponse précise à leur demande. Grégoire XVI avait offert du tabac à l’abbé de Lamennais dans sa boîte de lapis-lazzuli, mais il n’avait fait aucune allusion à la grande cause portée à son tribunal. Ce n’est qu’après le retour des pèlerins en France qu’il lança l’encyclique Mirari vos, portant condamnation des doctrines exposées et soutenues dans le journal l’Avenir. Le pape condamnait ses généreux et imprudents défenseurs : soucieux de vivre en bonne intelligence avec les gouvernements, il séparait sa cause de celle des peuples et de la liberté. Aussi pourquoi l’avait-on contraint de parler ? N’eût-il pas mieux valu entendre son silence ? Ne pouvait-on le servir sans le compromettre ? Lamennais manqua toujours de mesure et de patience. Quelques années plus tard, sa politique triomphait à Rome. Elle triomphait sans lui. Pour sentir toute la rudesse du coup qui le frappait,