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LA VIE LITTÉRAIRE

débité par Ézéchiel, c’est le bonnet rouge planté sur la croix. M. Guizot voulait qu’on ordonnât des poursuites, et le pape, dans l’encyclique Singulari nos, traita l’auteur de Vaudois et de Hussite.

Hussite et Vaudois, peut-être, mais chrétien encore et toujours. Ce prêtre condamné ne songeait dans sa révolte qu’à former une démocratie spiritualiste et chrétienne ; il n’aspirait qu’à fonder la société future sur les préceptes de l’Évangile. « On peut dire (je cite M. Spuller) qu’il n’est pas sorti du giron catholique pour faire la guerre à l’Église. Il s’est tourné vers la démocratie pour lui apprendre qu’elle ne trouverait la véritable application de ses principes que dans un christianisme épuré, agrandi. » Et plus tard, quand enfin il rejeta les dogmes et ne crut plus au surnaturel, c’est encore du cathohcisme qu’il tira les principes de sa philosophie. Il y a bien du vague et du chimérique dans le socialisme chrétien de Lamennais, qui était non point un politique, mais un prophète. Proudhon lui reprochait avec rudesse de ne point serrer d’assez près la réalité. « Ta philosophie, lui disait-il, se tait où les difficultés commencent ; prêtre jadis par le cœur, prêtre aujourd’hui par la raison, prêtre toujours. »

Cette dernière phase du génie de Lamennais n’aurait pourtant pas été, peut-être, la plus stérile, si l’on en juge par les tendances actuelles des catholiques. Et M. Spuller fait remarquer que, si l’on y regarde de près, Lamennais « est aujourd’hui en passe, tout exclu de l’Église qu’il ait été, de devenir le maître et le docteur du socialisme chrétien ».

M. Spuller s’est plu, dans son livre, à rattacher les idées de Lamennais et de l’école mennaisienne aux pensées dont les catholiques s’inspirent en ce