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Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/251

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ERNEST RENAN

qui dans un tel esprit avaient l’efficacité d’une croyance. Il a exercé trente ans un pouvoir spirituel sur l’Europe. Voilà ce que diront les indifférents, les adversaires eux-mêmes. Mais ce que nous devons dire, nous ses amis, nous qui eûmes l’honneur inestimable de l’approcher, c’est qu’il fut le meilleur des hommes, le plus simple, le plus doux et en même temps le plus ferme cœur qui ait jamais battu en ce monde.

Sous des dehors aimables et gracieux, il renfermait les plus solides vertus. Il accomplissait tous ses devoirs professionnels avec une exactitude qui ne négligeait aucun détail. On l’a vu s’astreindre à des obligations dont tout le monde hors lui-même pensait qu’un tel homme devait se dégager. Ceux qui ne le connaissaient pas le croyaient volontiers indifférent et tout enfermé dans les spéculations de sa pensée. Il était, au contraire, attentif, scrupuleux à remplir les emplois qui lui étaient confiés et tous les devoirs, même les plus humbles, étaient impérieux et pressants pour lui.

Cet homme était la droiture même ; jamais sa bienveillance, sa politesse exquise, la crainte délicate qu’il avait de déplaire ne le firent céder sur ce qu’il croyait la vérité. Nous sommes plusieurs assez heureux pour l’avoir vu dans ces réunions mondaines, mais amies, où il se plaisait parce qu’il était bon, sociable, bienveillant, et où il goûtait sans doute quelque reflet de la joie qu’il y répandait. Nous pourrions recueillir ses propos de table ; nous songerions peut-être à le faire si nous ne savions combien il est difficile, dans un tel recueil, d’éviter les trahisons involontaires. Du moins pouvons-nous assurer que, dans ses propos les plus intimes, tout expri-