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LA VIE LITTÉRAIRE

mait, tout respirait le parfait honnête homme, le grand philosophe et le bon citoyen.

Ce serait mal servir sa mémoire que de nous arrêter à deux ou trois articles de journaux qui, dans ce grand concert de douleur et d’admiration, ont suspecté son patriotisme. Manquer à la patrie, lui qui l’honora par ses travaux, et contribua plus que tout autre, pendant un demi-siècle, à sa gloire scientifique et intellectuelle, lui qui la voulait enrichir de toutes les connaissances amassées en Europe, lui qui, dans un de ses discours, a donné de la patrie la notion la plus belle, la plus large, la plus grande, quand il l’a définie la communauté d’hommes qui ayant accompli de grandes choses ensemble veulent ensemble en accomplir encore !

Nous l’avons entendu, dans l’intimité, tout occupé de l’avenir de la France, et il ne serait pas possible de dénaturer ses propos jusqu’à tourner en malveillance l’expression de sa vive sollicitude.

Sa conversation était un mélange exquis de profondeur et d’ingénuité. Il était original avec une bonhomie parfaite., Il ne se piquait point de bien parler ; vous savez qu’il ne se piquait point même de bien écrire.

Il n’aimait pas à paraître ; et jamais homme n’eut moins que lui le souci de l’effet. C’est dans cette ingénuité naturelle, dans cette sainte simplicité que je serais tenté de rechercher la raison de l’éloignement qu’il ressentait instinctivement pour tout ce qui est littéraire. Cet éloignement était chez lui, comme le reste, tout à fait sincère. Il trouvait aux lettres pures trop d’artifice, et c’est sans rhétorique qu’il fut un grand écrivain.

Comment se fait-il, diront ceux qui ne l’ont point