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ROBERT DE MONTESQUIOU

avec une fine intelligence qui est leur air de famille. Le plus célèbre d’entre eux, parce qu’il fut le plus agissant, l’abbé, ministre de Louis XVIII, montrait lui-même dans l’intimité ces qualités natives qu’on ne retrouve guère dans sa politique. « Il avait, dit un homme d’État qui l’approcha, le cœur plus libéral que les idées. » N’a-t-il pas répondu très joliment à ses amis, qui lui reprochaient d’avoir nommé un protestant, M. Guizot, secrétaire général : « Croyez-vous donc que je veuille le faire pape ? »

Je ne rappelle pas ces personnages avec le dessein de les retrouver, de quelque manière, dans leur petit-neveu, dans leur petit-fils, dans leur descendant actuel. Quand bien même je me sentirais attiré par l’idée séduisante de rattacher à cette brillante lignée un esprit qui en pourrait marquer le point extrême d’affinement et en qui, tout au moins, elle n’a rien perdu en fierté, en courtoisie ni en délicatesse, je craindrais de me perdre dans le dédale des lois certaines, mais obscures, de l’hérédité. Il me suffira de vous avoir présenté M. Robert de Montesquiou dans sa galerie de portraits historiques. Et, ne fût-ce que par une fantaisie, qu’on peut tourner au symbole, je rappellerai encore un de ses aïeux, plus lointain celui-là, et plus romanesque, d’Artagnan le mousquetaire.

Il y a du mousquetaire tourné à l’artiste et au poète dans M. Robert de Montesquiou, qui est, si l’on veut, le d’Artagnan du rare et de l’exquis. Tout jeune, sans avoir rien livré de son œuvre, et gardant en tout la discrétion d’un galant homme, il avait sa légende qui, comme toutes les légendes, cache un fond de vérité sous une broderie de mensonges. On lui attribuait des raffinements merveilleux de vie, une recherche