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Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/259

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ROBERT DE MONTESQUIOU

comme un mandarin, ne cherchez point le nom de l’éditeur. Ce livre ne se vend pas. M. de Montesquiou n’a pas risqué sa fierté jusqu’à offrir au public un livre qu’il ne destine qu’à des amis intellectuels, qu’à des parents d’âme et de cœur. Et je crains de trahir sa pudeur en parlant ici de l’homme et de l’œuvre.

J’offre à mes lecteurs un fruit à demi défendu. Comme ils ne se procureront pas aisément un exemplaire de ce livre discret et secret, je dois leur en donner du moins ici quelques pages arrachées. Je les avertis que j’ai choisi les extraits avec l’idée de faire connaître le plus complètement l’esprit de cette œuvre étrange et belle.

La chauve-souris, dont M. de Montesquieu a fait, pour cette fois, ses armoiries poétiques et qu’il a marquée dans le filigrane du papier comme sur la soie de la couverture et des gardes, est le symbole de son œuvre, l’allégorie des effets de nuit et de crépuscule qu’il s’est appliqué à peindre dans leur diversité infinie et avec les analogies morales qu’ils rappellent. On parle, dans un conte de fées du dix-septième siècle, d’une tapisserie qui représente tous les royaumes de la terre avec les villes, les paysages, les portraits des princes régnants et leur arbre généalogique, et qui est tissée si finement qu’on peut la passer dans une bague. On songe à cette broderie féerique devant ce poème composé de poèmes, qui, sur ce motif rapide de la chauve-souris, chante tant de choses de la nature et de la vie.

Le poète a conçu la chauve-souris comme l’emblème des heures douteuses et des âmes incertaines.