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ROBERT DE MONTESQUIOU

Le calme de la nuit rassure le cœur triste !
Il y sent déferler comme une charité
Pour tout ce grand orgueil qui, tout le jour, persiste,

Mais qui n’ose fléchir que dans l’obscurité.
 
La bonté de la nuit caresse l’âme veuve.

L’isolement de la nuit la connaît pour sœur
Et, comme un hyménée, à la tendresse neuve,
Des ténèbres émane et sort de la noirceur.

Pleurez dans ce repli de la nuit invitante,
Vous que la pudeur fière a voués au cil sec,
Vous que nul bras ami ne soutient et ne tente
Pour l’aveu des secrets… — pleurez ! pleurez avec

Avec l’étoile d’or que sa douceur argenté,
Et qui veut bien, là-bas, laisser ce coin obscur,
Afin que l’œil tari, d’y sangloter s’enchante
Dans un pan du manteau qui le cache à l’azur !

On songe en lisant cette louange inquiète de la nuit à ce vers enchâssé par hasard dans la prose de Michelet, qui a dit quelque part de la Sulamite : Belle comme la nuit et comme elle peu sûre. Voici un autre paysage, charmant par la correspondance du ciel et de la terre, et curieux par le rythme ternaire, que l’auteur a ponctué :

CHANGE

Sous les roseaux — qui sont ses cils — le lac regarde
De son œil vert — l’azur léger — du firmament…
Sous sa paupière — or nuageux — le grand ciel darde
Son regard bleu — dans le regard — du flot aimant.

La fleue des eaux — la fleur des cieux — fleurissent, l’une
Son blanc pétale — et l’autre son — rayon blafard ;
Le nénuphar — en bas reluit — comme la lune,
La lune en haut — s’étale comme — un nénuphar.

Ce sont vos deux — points lumineux, — double prunelle
De l’œil des cieux — tout grand ouvert — sur l’œil des
Se renvoyant — l’œillade pure — et fraternelle [eaux.
Sous leurs cils fins — faits de nuage — et de roseaux.