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MARCEL SCHWOB

et de l’épouvante, par des assassins, des disciplinaires, des paysans sauvages, qui mêlent leur argot et leur patois à ce concert du mal et de la souffrance (la Charrette, etc., etc.).

M. Marcel Schwob, qui est un philosophe et un artiste, est aussi un savant. Il n’est pas toujours facile de reconnaître l’origine de son inspiration, tant il sait le chemin des sources infréquentées. Pour l’antiquité, il fouille les auteurs peu connus, non encore traduits, les scoliastes ; il fut des premiers à lire Hérondas et on l’a vu très chagrin, chez M. Michel Bréal, de ne pouvoir lire une inscription étrusque nouvellement découverte.

Quant au moyen âge, il va droit aux documents d’archives, aux registres du Châtelet. Il a enrichi, par d’heureuses contributions, la biographie de François Villon. Sa science est authentique et de première main. Il en sait long sur les écorcheurs, les routiers, les coquillarts, les pirates. Et la sûreté de ses informations n’a d’égal que l’art avec lequel il les met en œuvre. Il y a, dans son hvre, un endroit du moins où j’étais en état de le surveiller, c’est celui où il met en scène la mort de Guillaume de Flavy. J’avais étudié, à part moi, ce terrible Flavy[1] : je le connaissais assez, et je puis dire que tout ce qu’en rapporte M. Marcel Schwob (Blanche la Sanglante) est aussi vrai au point de vue de l’histoire que superbe quant à l’effet artistique.

Après le Roi au masque d’or, il faut dire que M. Marcel Schwob est le prince de la terreur.

27 novembre 1892.
  1. Guillaume de Flavy était gouverneur de Compiègne lorsque Jeanne d’Arc y fut faite prisonnière. Cf. A. France. Vie de Jeanne d’Arc, tome II, chap. vii. (Note de l’éditeur.)