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Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/270

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LA VIE LITTÉRAIRE

Je n’ai donné ce petit morceau qu’en exemple aux curieux de style, et mon intention n’était pas d’analyser la nouvelle qui est déjà très courte et qu’il faut lire. Pourtant on voudra savoir tout de suite pourquoi les vierges de Milet avaient ainsi le goût contagieux de la mort. Il ne s’agit point ici de ces trois Milésiennes qui se tuèrent à l’approche des Gaulois et dont l’épigramme funéraire est une des plus belles de l’Anthologie : « Ô Milet, chère patrie, nous sommes mortes toutes trois vierges et tes citoyennes. Le dur Ares des Celtes nous a fait cette destinée. Nous n’avons point attendu que notre sang coulât par une blessure impie et nous sommes allées trouver Hadès protecteur. » (J’ai traduit de mémoire et le temps me presse ; je ne puis vérifier. D’ailleurs, si j’ouvre l’Anthologie palatine, je m’y abîmerai jusqu’à demain). Non, les Milésiennes de M. Marcel Schwob se pendent après s’être vues dans le miroir magique d’Athénè, qui les montre non telles qu’elles sont, jeunes, fraîches, le corps plein et gonflé du suc de la jeunesse, mais telles qu’elles seront un jour, ridées, la chair aride, les membres noueux. Hélas ! si l’on savait l’avenir, qui consentirait à vivre ? C’est l’unique bonté de la nature, de nous laisser dans l’ignorance de notre destinée. Et la réflexion, qui est le vrai miroir d’Athénè, apporte aux sages des tourments inconnus au vulgaire, qui est plus sage qu’eux. M. Marcel Schwob nous fait voir en ce livre d’assez terribles figures de routiers italiens ou français (la Peste, les Faulx-visaiges, etc.). Il nous montre aussi, selon sa promesse, des démoniaques (le Sabbat de Mofflaines), des pirates (les Faux-saulniers), et notre temps présent est représenté d’une façon tragique et pittoresque, dans cette théorie du crime