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RÉMY DE GOURMONT

des églises ; ce sont de vives et profondes paroles, auxquelles il demande l’inspiration de l’heure présente et comme une règle de pensée pour l’avenir. Il est mystique, et ce sentiment s’exprime dans tout ce qu’il écrit en effusions sincères et d’une forme rare et curieuse. Le mystique est volontiers un artiste subtil et qui joue adroitement avec les mots. Ainsi M. de Gourmont. A-t-il tort ou raison ? Mais qu’importe ! On est ce qu’on est ; on croit ce qu’on peut. Nous portons nos imaginations comme les arbres portent leurs feuilles et leurs fruits. Heureux qui garde en ce monde la foi ou seulement l’illusion de la foi, et qui voit apparaître sur le néant de tout les images de la vie spirituelle :

Heureux l’homme isolé qui met toute sa gloire
Au bonheur ineffable, au seul bonheur de croire,
Et qui, tout jeune encor, s’est crevé les deux yeux,
Afin d’avoir toujours à désirer les cieux !
Heureux seul le croyant, car il a l’âme pure,
Il comprend sans effort la mystique nature.
Il a, sans la chercher, la parfaite beauté
Et les trésors divins de la sérénité.
Puis il voit devant lui sa vie immense et pleine
Comme un pieux soupir s’écouler d’une haleine ;
Et lorsque sur son front la Mort porte ses doigts,
Les anges près de lui descendent à la fois ;
Au sortir de sa bouche, ils recueillent son âme,
Et, croisant par-dessus leurs deux ailes de flamme,
L’emportent toute blanche au céleste séjour,
Comme un petit enfant qui meurt sitôt le jour.

M. de Gourmont prend la poésie latine mystique à ses sources obscures et la montre sortant du latin populaire. Au troisième siècle, un chrétien de Syrie, prêtre, et peut-être évêque, Commodien, de Gaza, composa un poème, le Carmen apologeticum, en hexa-