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LA VIE LITTÉRAIRE

Mais ce sont là des bagatelles. Il y a dans le livre que je présente à mes lecteurs trop de choses intéressantes et bien dites ; l’étoffe en est trop précieuse pour s’arrêter à quelques aspérités du tissu.

On sait que le christianisme fut fondé pour la seconde fois au treizième siècle dans la ville d’Assise, on sait qu’un tel souffle d’amour sortit de la Portioncule, et une telle allégresse, que l’Éghse en fut toute renouvelée. Le bon saint François la retrempa dans ses eaux originelles, l’humilité et la pauvreté. Jamais âme n’eut sur le monde une action comparable à celle-là. Ce saint qui, comme il est dit au « Paradis » de Dante, avait pris pour dame celle à qui pas plus qu’à la Mort personne n’ouvre sa porte en souriant, forma des fils spirituels qui « ne tendaient qu’aux choses éternelles, ne souhaitaient rien de charnel ou de terrestre, ne regardaient que Jésus, et, s’attachant à la vie évangélique, portaient nus et morts pour le monde la croix nue du Sauveur ».

Ainsi le bon saint François conduisit à la joie, par le renoncement à toute joie, des millions de créatures humaines et leur fit vivre sur la dure terre des heures angéliques.

Il fut le grand consolateur. Sous son influence les âmes, détachées du monde qu’elles voyaient déjà réduit en cendre sous les trompettes de l’ange, goûtaient une paix inaltérable.

Un doux pessimisme, plein de pitié, une horreur attendrie du monde et de la chair, un anéantissement en Dieu les envahissaient. Ils en vinrent naturellement à croire que la consommation des siècles était proche et, pour ainsi dire, accomplie.

L’histoire de sainte Douceline nous fait paraître cet état d’âme.