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RÉMY DE GOURMONT

Un jour de vendredi saint, au moment où on levait la croix, elle se mit à crier, avec des sanglots : « Ô monde faux et trompeur, quel terrible châtiment te menace ! Venez, venez, entrez dans la barque car tout ce qui sera trouvé dehors périra. » Puis renforçant sa voix : « N’entendez-vous pas crier le nocher ? N’entendez-vous pas qu’il crie : Entrez dans la barque, car tout ce qui sera trouvé dehors périra ? Hélas ! ce sont des âmes couvertes du sang de Jésus-Christ. » Et à la question inquiète d’une sœur, elle répondit avec gaieté : « Oui, vraiment, sous les ailes de saint François, vous serez toutes sauvées. » (Cf. Gebhart, l’Italie mystique, p. 206).

De cette pensée sortit une poésie empreinte d’une sorte d’ascétisme tendre, etvoù des terreurs d’enfant s’apaisent devant Dieu, dans un amour filial. Les deux chefs-d’œuvre de la poésie franciscaine sont le Stabat et le Dies irae. M. de Gourmont a étudié ces deux proses avec soin, et il a recherché les éléments dont elles furent formées. Car le Dies irae et le Stabat sont, comme les cathédrales, l’œuvre de générations successives.

Certaines parties de ces poèmes sont antérieures à l’œuvre du grand saint d’Assise, et l’on peut dire que les franciscains, en leur donnant forme, firent avec amour et zèle un travail d’abeille.

On attribue généralement le Dies irae à frère Thomas de Celano, et M. de Gourmont maintient cette attribution. Le texte qu’il donne de cette reine des proses est le texte même du bréviaire. Je ne le crois pas très bon et je soupçonne les strophes, 9,11, 16 et 17 d’avoir été remaniées. Le marbre de Man-