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STÉPHANE MALLARMÉ

Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense qu’elle est venue de Saxe par les longues diligences, autrefois.

Cette précise rêverie a du charme et révèle la nature vraie de M. Stéphane Mallarmé, qui est un songeur exact. Mais j’aime encore mieux vous mettre sous les yeux ce parfait petit chef-d’œuvre, qui rappelle les poèmes en prose de Baudelaire, par le fini du travail, et qui appartient en propre à M. Mallarmé, par le tour elliptique de la pensée, le raccourci des images et le mouvement régulier :

PLAINTE D’AUTOMNE

Depuis que Maria m’a quitté pour aller dans une autre étoile — laquelle, Orion, Altaïr, et toi, verte Vénus ? — j’ai toujours chéri la solitude. Que de longues journées j’ai passées seul avec mon chat. Par seul, j’entends sans un être matériel et mon chat est un compagnon mystique, un esprit. Je puis donc dire que j’ai passé de longues journées seul avec mon chat et, seul, avec un des derniers auteurs de la décadence latine ; car depuis que la blanche créature n’est plus, étrangement et singulièrement j’ai aimé tout ce qui se résumait en ce mot : chute. Ainsi, dans l’année, ma saison favorite, ce sont les derniers jours alanguis de l’été, qui précèdent immédiatement l’automne, et dans la journée l’heure où je me promène est quand le soleil se repose avant de s’évanouir, avec des rayons de cuivre jaune sur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même la littérature à laquelle mon esprit demande une volupté sera la poésie agonisante des derniers moments de Rome, tant, cependant, qu’elle ne respire aucunement l’approche rajeunissante des Barbares et ne bégaie point le latin enfantin des premières proses chrétiennes.

Je lisais donc un de ces chers poèmes (dont les plaques de fard ont plus de charme sur moi que l’incarnat de la jeunesse) et plongeais une main dans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chanta languissam-