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LA VIE LITTÉRAIRE

ment, ce me semble, dans les délicieux vers allégoriques que voici :

Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends !
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Des déesses ; et, par d’idolâtres peintures,
À leur ombre enlever encore des ceintures :
Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté.
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers….

Tout ce poème de l’Après-midi d’un faune me semble profondément philosophique. Si j’étais vieux et si j’habitais la province, j’en ferais une glose en un ou deux volumes in-8o. Ce serait un doux emploi de mes heures. Mais je n’entends pas encore, comme le Tyrcis de Racan, la voix amie qui me conseille de faire retraite. Et il me faut pousser en avant et brûler la symbolique du faune de M. Stéphane Mallarmé. Aussi bien, ai-je hâte de vous faire une surprise et de vous offrir du Mallarmé tout à fait clair, lucide, translucide et pourtant exquis encore. Ce sera du Mallarmé en prose, en prose fine et caressante. Que choisirai-je ? J’ai là, sous les yeux, nombre de pages heureuses et faciles, d’une clarté à la fois géométrique et poétique. M. Mallarmé est volontiers intelligible quand il écrit en prose. Ce doit être par mépris pour cette forme vulgaire du discours. Mais il n’importe. Les hommes sont parfois excellents par ce qu’ils négligent. Et il y a plus de génie et de bonheur dans Candide que dans l’Essai sur les mœurs. Vous citerai-je la page adorable qui commence ainsi :