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LA VIE LITTÉRAIRE

est chasseur et carnassier. Après cela, André Maltère et ses deux belles amies ne sont pas éloignés de croire que les hommes, en s’affinant, n’auront plus que des instincts très doux, assez généreux et d’une sensualité délicate. C’est possible. Mais cela n’apparaît pas encore très clairement, et il y aurait imprudence à supprimer tout d’un coup, comme le veut le prince Kropotkine, les codes et les juges. Ce prince a, dans son optimisme, une douceur terrible. André Maltère n’est pas si confiant en la bonté des hommes. Il craint visiblement que l’âge d’or ne se fasse attendre. S’il se dit l’ennemi des lois, c’est qu’il demande beaucoup pour obtenir très peu. Et peut-on prétendre contre lui que nos codes sont de tout point excellents, et que l’on fit bien de condamner l’autre jour à six mois de prison un pauvre homme qui avait volé un pain ?

Si c’est la loi, il faut l’adoucir et la faire correspondre aux mœurs qui vont s’humanisant. Un bourgeois de petite ville, sous Louis XVI, fit pendre sa servante qui lui avait volé des draps. Il demanda et obtint la peau de la malheureuse dont il se fit des culottes. Chaussé de cette peau, il avait coutume de frapper sur sa cuisse en criant : « La coquine ! » Cela le soulageait. C’était m homme jovial, estimé de ses voisins, bon père de famille et qui faisait mille gâteries à ses petits enfants. L’un de ces petits enfants pourrait être votre grand-père ou le mien. Nous ne sommes séparés de l’homme à la culotte que par quatre générations. N’est-il pas visible que les mœurs se sont adoucies depuis lors et que le commun des citoyens a plus de respect de la vie qu’on n’en avait il y a cent ans ? Les lois actuelles, sorties de la Révolution, témoignent