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MAURICE BARRÈS

après l’avoir perdu ; c’est la pitié, une pitié sensuelle, qui s’émeut des souffrances de la chair et du sang. Et si cette pitié s’arrête aux bêtes, découragée par les hommes, qui ne voit que c’est là un symbole et que les chiens de la petite princesse Marina représentent l’humanité misérable ? André Maltère fait le bonheur des animaux avant de faire celui des humains.

Il y a à cela des raisons considérables. D’abord c’est plus facile ; ensuite la méthode est la même dans son principe pour les chiens et pour les hommes. Et c’est là toute la philosophie du livre. Elle peut se résumer ainsi : tout par l’instinct et pour l’instinct. La raison, la superbe raison est capricieuse et cruelle ; la sainte ingénuité de l’instinct ne trompe jamais. Dans l’instinct est la seule vérité, l’unique certitude que l’humanité puisse jamais saisir en cette vie illusoire, où les trois quarts de nos maux viennent de notre orgueil et de nos préjugés.

Cette idée-là, je l’avoue, m’est très chère. J’en goûte l’innocence et la grâce paradisiaque. M. Maurice Barrès l’enseigne en même temps que M. Teodor de Wyzewa. Celui-ci y met plus de tendresse amoureuse. L’autre y mêle l’ironie ; et je leur sais gré, à l’un et à l’autre, de nous faire sentir qu’il y a un grand mal à contrarier l’instinct des êtres, sous prétexte que ces êtres sont intelligents et moraux.

Mais il me reste bien des doutes. Il y a des sociétés animales fondées sur l’instinct. On s’y entre-dévore, et ces sociétés sont parfois, comme chez les abeilles et les fourmis, horriblement tyranniques. Les sauvages accordent plus que nous à l’instinct et ils sont, s’il est possible, encore plus méchants et plus malheureux que nous. L’instinct des animaux et des hommes