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LA VIE LITTÉRAIRE

S’rais-tu assez chouette, si tu n’voulais plus boire !

Deuxième feuille :

Les mêmes. Coupeau, qui a monté l’escalier à grand’peine, s’abat contre la muraille. Gervaise, le gosse dans les bras :

T’es pas honteux d’être dans des états pareils, un mardi !

« Un mardi ! » Touchante indulgence de la pauvre femme, qui sait bien qu’un homme il faut que ça boive de temps en temps.

Je note, dans les scènes ouvrières, une page amusante sur la politique au cabaret. Le troquet lit le journal ; il a appris que le pape est pour la République. Mais Lantier, un Lantier de 1892, qu’on ne trompe pas facilement, répond :

Eul pape ? Je n’y couperai que quand j’y aurai entendu chanter la Marseillaise.

En somme, et il faut l’en louer grandement. Forain est terrible au vice et il respecte la misère. Ce qu’il saisit avec une adresse terrible, ce sont les barons de la finance interlope et les coulissiers véreux, c’est monsieur Cardinal, madame Cardinal et leurs filles, c’est le vieux Labosse, c’est le monde de l’argent et du plaisir.

M. Arsène Alexandre, dans le livre que j’ai déjà cité, compare Forain à Gavarni, comme nous l’avons fait tout de suite ici ; puis il marque les traits essentiels par lesquels ces deux artistes se séparent et se distinguent. « On sait, dit-il, que Gavarni faisait d’abord ses légendes, puis leur adaptait un dessin. Or, Forain, à qui nous demandions un jour comment il procédait, nous répondit : « Il m’arrive quelquefois de trouver la légende d’abord, mais le plus souvent je fais mon dessin, et je l’écoute. »