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LA VIE LITTÉRAIRE

chant. Les troubadours n’y attachaient pas une signification beaucoup plus précise. « Les Provençaux, dit Ginguené, appelaient sonnets des pièces dont le chant était accompagné du son des instruments. » C’est en Italie qu’il faut chercher les premiers types du poème de quatorze vers, avec quatrains à rimes redoublées qui est le sonnet tel que nous l’entendons. Quant à dire comment il naquit c’est ce qu’il n’est pas permis de faire. Toutes les origines sont obscures et celles du sonnet, entre autres, se dérobent sous des nuées épaisses. Il est probable qu’il répondait d’abord à des convenances dont nous n’avons plus l’idée et, si l’on y regarde attentivement, on y retrouve, ce me semble, un certain tour scolastique particulier aux poètes du moyen âge et une régularité qui rappelle le temps où l’arithmétique était sœur de la poésie. Je ne puis me défendre d’imaginer une miniature du treizième siècle dans laquelle sur un fond d’outre-mer, dans un paysage toscan, on verrait deux pucelles aux cheveux d’or, l’une comptant sur ses doigts effilés et l’autre jouant du luth avec une décente mignardise et représentant de la sorte les deux conseillères allégoriques du poète composant un sonnet courtois, en langue vulgaire. Rien n’empêcherait qu’on vît aussi, dans cette miniature de mon rêve, le poète lui-même, la tête ceinte de lauriers, par-dessus l’étroit chaperon rouge qui lui presse les tempes, écrivant sur son pupitre chargé de livres le sonnet à sa dame.

Si vous voulez qu’il y ait une légende à cette image, nous lirons au-dessous, en lettres gothiques d’une exacte élégance : L’Arithmétique et la Musique enseignant au poète à chanter la dame dont la beauté cause son tourment. Mais il me vient un scrupule ;