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JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

Il y a encore une sorte de piété dans ce petit poème, composé à Luchon, pour une pauvre petite affranchie de Claude ou de Néron, exilée en Gaule, et qui laissa de sa vie dans la montagne une trace mystérieuse sur une inscription votive à demi effacée. M. de Heredia lut quelques mots sur la pierre et fit le sonnet que voici :

L’EXILÉE
Dans ce vallon sauvage où César t’exila,
Sur la roche moussue, au chemin d’Ardiège,
Penchant ton front qu’argenté une précoce neige,
Chaque soir, à pas lents, tu viens t’accouder là.

Tu revois ta jeunesse et ta chère villa
Et le flamine rouge avec son blanc cortège ;
Et lorsque le regret du sol latin t’assiège.
Tu regardes le ciel, triste Sabinula.

Vers le Gar éclatant aux sept pointes calcaires,
Les aigles attardés qui regagnent leurs aires
Emportent en leur vol tes rêves familiers ;

Et seule, sans désirs, n’espérant rien de l’homme.
Tu dresses des autels aux monts hospitaliers
Dont les Dieux plus prochains te consolent de Rome.

Mais ce que M. José-Maria de Heredia goûte le mieux au monde, c’est la joie de vivre au soleil, c’est l’éclat des belles formes à la lumière. Et ses retours vers la vie antique sont le plus souvent inspirés par l’admiration des corps nus que l’on contemple dans une joie noble que ne trouble point le désir.

LE TEPIDARIUM
La myrrhe a parfumé leurs membres assouplis.
Elles rêvent, goûtant la tiédeur de décembre,
le brasier de cuivre illuminant la chambre
Lie la flamme et l’ombre à leurs beaux fronts pâlis.