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LA VIE LITTÉRAIRE

tends pas qu’ils eussent tous alors autant de désintéressement et de bonne grâce que M. de X… Mais celui-là n’était pas hors du ton général, et j’imagine que madame de Béthune conta l’historiette sans la moindre nuance de surprise. Elle trouvait cela très naturel. Ce l’était, en effet. Et, de plus, c’était un naturel aimable. Seulement, toute l’affaire suppose une entente du mariage qui n’est plus la nôtre, même dans les classes riches. Notre société ne ressemble pas du tout à l’ancienne.

Elle est beaucoup plus morale, du moins par le dehors, et cela date de 89. Depuis les constituants, depuis l’avènement des gens de robe, de noir vêtus, légistes austères, magistrats studieux, la bonne société, celle qui donne le ton, a gagné en sérieux et en régularité. Et cela dure encore, quoi qu’on dise. C’est premièrement un des effets les plus clairs de la Révolution, d’avoir beaucoup retranché sur la liberté du cœur et des sens. Vous entendez bien que le tempérament des personnes n’est point changé et qu’il a les mêmes effets qu’il eut jadis, qu’il eut toujours. Du moins, on ne s’affiche plus. Et c’est beaucoup déjà que les mœurs imposent à tous, riches ou pauvres, la même contrainte. C’est beaucoup que les apparences soient sauvées. Pour ce qui est du fond, il ne change guère, et l’homme est toujours une assez méchante bête. La princesse de Béthune, qui contait les aventures de son jeune temps au poète romantique d’Éloa, trouvait, peut-être, que les Français devenaient un peu hypocrites. Il est de fait que l’hypocrisie est l’inconvénient des bonnes mœurs publiques. Peut-être aussi, plus indulgente, estimait-elle que c’était un bien que de suivre la règle et qu’avec de la prudence une femme peut encore,