Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
PAUL HERVIEU

même sous le nouveau régime, faire les petites affaires de son cœur.

Les belles amies de Chateaubriand furent les dernières grandes dames qui purent former sans scandale des liaisons plus qu’à demi avouées. Celles-là tenaient encore à l’ancien régime.

Depuis, on n’avoua plus. Ce fut le triomphe du code.

Quoi qu’on dise et bien qu’on se plaigne vaguement d’un certain relâchement, le ton est resté jusqu’à présent assez grave, par comparaison avec celui de l’ancien régime.

Les progrès de la démocratie sont, en somme, favorables à l’idée morale, telle qu’elle a été formée en France pendant la Révolution et surtout sous le premier Empire, qui contribua extrêmement à faire prévaloir dans l’opinion l’exactitude légale. Et, malgré le déchaînement romantique et naturaliste (choses littéraires et superficielles), nous nous défendons avec une décence suffisante contre les révoltes de la passion et les fantaisies du sentiment. Ce que j’en dis s’applique à la classe des riches et des oisifs. Car, pour ce qui est des gens de peu de loisir et de vie laborieuse, la régularité leur est nécessaire et la médiocrité pénible de leur condition assure la médiocrité honorable de leurs mœurs. Il faut se réjouir d’une humble condition comme du plus sûr des biens. Ces vues philosophiques sont sans doute trop rapides. Mais je les crois justes et nous sentons bien, par ce que nous en a dit M. Paul Hervieu, que M. de Trémeur, qui est un mari à la mode de 1893, n’est pas d’humeur à prendre les choses conjugales avec ce bienveillant scepticisme et cette bonne grâce facile dont fit preuve M. de X…, cent vingt ans auparavant.