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PAUL HERVIEU

l’entourage de son amie, demandait au jeu un surcroît de ressources. Il en vint à tricher, fut pris et se fit sauter la cervelle. Voilà encore qui n’était pas si grave il y a seulement cent trente ou cent quarante ans. On coulait des rouleaux de faux louis au jeu de la reine, et rappelez-vous que le chevalier des Grieux, qui, après tout, n’était pas mal né, se félicitait de faire sauter la carte, du ton dont un jeune homme dit aujourd’hui qu’il ne fait pas de mauvaises affaires à la Bourse. Ces considérations devraient arrêter les plaintes des moralistes moroses qui gémissent sur le relâchement des mœurs. La vérité est que nous ne plaisantons pas avec la probité et l’honneur.

Je philosophe sur le nouveau livre de M. Paul Hervieu. Il est temps de dire que c’est une vraie merveille, un chef-d’œuvre dont je suis tout ravi. C’est un roman par lettres ; pourtant, il n’est pas du tout composé à l’exemple des romans épistolaires du dix-huitième siècle. Pour le ton, pour le sentiment, pour la manière, pour le tour et le style, rien de plus original, de plus neuf que Peints par eux-mêmes.

Là, caractères, scènes, milieu, tout intéresse parce que tout est vrai, j’entends de cette vérité évidente qui frappe le moins averti et lui fait dire : « C’est cela ! Que ce doit bien être cela ! » Peu, très peu de romans mondains m’ont fait cette impression. Cette œuvre d’un écrivain qu’il faut compter désormais parmi les maîtres est d’une grâce cruelle et d’une élégance tragique. La peinture du monde y est si fine qu’on est surpris ensuite de la trouver ce qu’elle est, en effet, solide et forte. Et c’est la singularité de ces pages de montrer, dans un si joli décor et parmi les riens exquis de l’élégance, les travaux secrets de la vie et les coups du destin.