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LA VIE LITTÉRAIRE

Pourtant, M. de Trémeur est devenu fort étranger à sa femme, et cette charmante créature, qui aime M. Le Hinglé, entend rester fidèle à l’homme qu’elle a choisi.

La seule idée d’un partage lui ferait horreur. Se trouvant dans la situation de madame de X…, elle ne songe pas une seule minute à assurer sa sécurité par « une basse prévoyance » et à provoquer avec son mari un rapprochement opportun, qui lui serait facile.

Elle est fort embarrassée. Je ne vous dirai point comment elle se tire d’affaire, sur les conseils d’un vieux médecin, qui sait la vie et connaît le monde. Tout cela veut être lu dans le livre de M. Paul Hervieu. Je note seulement, en ce roman, qui semble la vérité même, les traits de mœurs les plus accentués et les plus généraux.

Madame de Trémeur aime de tout son cœur M. Le Hinglé. Une femme très amoureuse n’est guère prudente. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Shakespeare. Il prête à sa Juliette cette idée sur les dames de Vérone, qu’elles n’ont tant de retenue que parce qu’elles aiment froidement. Madame de Trémeur, qui n’aime pas froidement, a le tort d’écrire ; un baron de Munstein, qui adore les femmes et, désespérant de leur donner du plaisir, veut du moins leur faire sentir toutes les épouvantes, intercepte une des lettres de Françoise de Trémeur et voilà la pauvre jeune femme dans les transes.

Grâce à une ruse audacieuse de M. Le Hinglé, qui fait chanter le vieux maître chanteur, Françoise recouvre sa lettre sans payer de sa personne. Mais un plus grand malheur est sur elle. Ce pauvre Le Hinglé, pour faire figure dans le monde et tenir rang dans