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M. JULES SOURY

jusqu’aux primates et les méandres du cerveau de l’homme. Studieux et solitaire, M. Jules Soury ne sort guère de chez lui que pour se rendre à la vieille Sorbonne, où, depuis dix ans, il enseigne, dans une petite salle, sous les toits, les nouvelles doctrines de psychologie physiologique. C’est Paul Bert qui, étant ministre, le nomma maître de conférences près l’École pratique des hautes études. Paul Bert, grand physiologiste, avait toute compétence, assurément, pour fonder une chaire de cette nature et désigner le titulaire. Toutefois, c’était une nouveauté, et plusieurs, dans la maison aussi bien qu’au dehors, en prirent ombrage. Pareille mésaventure advint, dans le Collège de France, à Gassendi, quand ce grand homme laissa deviner qu’il inclinait vers le système de Copernic. Alors un nommé Morin voulut le faire taire. M. Soury éprouva qu’il y a toujours des Morins. Mais, soutenu par l’opiniâtre Paul Bert, il trouva, dans la presse, en J.-J. Weiss, un brillant défenseur. L’ami de Gambetta écrivit dans la Revue bleue une satire sur cet esprit philistin auquel il attribuait les criailleries soulevées par la nomination de M. Jules Soury ; il vanta justement « ce lettré exquis, nourri de la substance la plus solide » et le vengea de l’injustice des gens à diplôme, « savants, comme le barbier de Gil Blas, en toutes sortes de choses inutiles ». Et M. Jules Soury, dans sa petite salle haute de la Sorbonne, un scalpel à la main, un cerveau sur la table, tranquille, enseigna à une élite d’élèves le jeu compliqué des appareils de l’innervation cérébrale et développa la théorie des localisations.

C’est là, dans cette salle, qu’il faut le voir et l’entendre. Un peintre ferait un beau portrait s’il saisissait le caractère puissant de ce crâne dépouillé