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LA VIE LITTÉRAIRE

et poli, non par l’âge (M. Soury est jeune encore), mais par le travail de la pensée, de ces petits yeux perçants, de ces joues lourdes que la parole anime, de ce geste simple et paisible, de cette forme épaissie par une vie claustrale et qui révèle une vigueur de corps peu commune, détournée au profit du travail sédentaire et des spéculations intellectuelles.

Je voudrais que le peintre mît toute la lumière sur ces mains un peu courtes, mais belles, qui après s’être plongées dans la prodigieuse substance blanche ou grise, s’ouvrent, pour la démonstration, comme afin de laisser échapper les vérités dont elles sont pleines. Ce serait vraiment une belle composition, et tout, jusqu’aux débris de cervelle et de cervelet répandus sur la table, prendrait un sens intellectuel, revêtirait cette noblesse que la science imprime à la nature.

En dix ans de professorat M. Jules Soury a pu faire la synthèse des travaux qui, depuis 1870, c’est-à-dire depuis les découvertes de Fristch et de Hitzig, ont paru en Europe sur la théorie des localisations cérébrales. Il a publié la matière de ses leçons en un volume qui vient de paraître.

Et je ne saurais dire l’attrait de cet ouvrage. Les esprits habitués aux hautes spéculations de l’intelligence y trouveront un intérêt romanesque et dramatique plus fort que celui de toutes les fictions des poètes. L’autre jour un de mes amis rencontra sous une voûte de la vieille Sorbonne condamnée l’auteur de ce livre ingénieux.

— Eh bien, lui dit celui-ci, voilà dix ans qu’ici, dans cette petite salle Victor Leclerc, où j’ai passé tant d’hem’es à causer avec le bon et savant doyen,