Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
LA VIE LITTÉRAIRE

besoins de cet animal adorant et, après y avoir longuement réfléchi il lui donna un fétiche. Mais il choisit la terre et non point Dieu. Ce n’est pas qu’il fût athée. Il tenait, au contraire, l’existence d’un principe créateur pour assez probable. Seulement il estimait que Dieu était trop difficile à connaître.

Et ses disciples, qui sont des hommes très religieux, célèbrent le culte des morts, des hommes utiles, de la femme et du grand fétiche qui est la Terre. Cela tient à ce que ces religieux ont en vue le bonheur des hommes sur cette planète et qu’ils s’occupent de l’organiser en vue de notre félicité. Ils auront beaucoup à faire, et l’on voit bien qu’ils sont optimistes. Ils le sont extrêmement, et cette disposition de leur esprit m’étonne ; il m’est difficile de concevoir que des hommes réfléchis et sensés comme ils sont nourrissent l’espoir de rendre un jour supportable le séjour de cette petite boule qui, tournant gauchement autour du soleil jaune et déjà à demi obscurci, nous porte comme une vermine à sa surface pourrie. Leur grand fétiche, qui n’est dans l’univers qu’une goutte de boue, ne me semble point du tout adorable.

Vous avez le même sentiment, monsieur, et c’est pourquoi vous voulez être immortel. C’est du désir que vous faites naître votre immortalité. Il est vrai que le désir a créé le monde. Mais il a créé en même temps la mort. Je vais vous confier un grand secret. Je ne sais rien de la vie future. J’en avais des images dans ma Bible à estampes que je feuilletais dans mon enfance, le soir, sous la lampe, à la table de famille, et que j’ai perdue. Aussi ne vous contredirai-je point dans tout ce que vous en direz. Mais j’ai reçu tantôt un livre de M. L. Bourdeau, sur le Problème de la mort, qui traite vos solutions d’imaginaires.