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« LOHENGRIN » À PARIS

— Folle ! folle ! pauvre folle, lui cria Ortrude avec une haine joyeuse. Regarde le cygne qui emporte ton héros. Ce cygne, c’est ton frère, ainsi transformé par mes enchantements. Je reconnais la chaîne d’or dont j’ai entouré son cou.

À la prière de Lohengrin et par la vertu du Graal, Godefroid fut rendu aussitôt à sa forme naturelle. Elsa retrouva son frère. Mais déjà le fils de Parsifal, emporté sur le fleuve dans une nacelle que tirait une colombe miraculeuse, s’éloignait sans retour. La malheureuse le suivit des yeux aussi longtemps qu’elle put ; puis, quand elle ne le vit plus, elle poussa un grand cri et tomba comme morte.

Ainsi finit l’histoire de Lohengrin et d’Elsa. J’en sais peu d’aussi belles. Tout merveilleuse qu’elle est, elle est profondément vraie ; elle est humaine et prend l’homme au cœur, Richard Wagner ne l’a point inventée. Il l’a prise à un vieux minnesinger allemand qui lui-même l’avait empruntée à quelque autre. Elle n’est point d’origine purement allemande, loin de là. Elle se rattache à ce cycle d’Arthur dans lequel la race celtique exprima confusément son invulnérable idéalisme. Ce sont là les sources les plus fraîches de la poésie du moyen âge. Combien l’Arthur de l’épopée bretonne l’emporte sur Achille et sur Charlemagne ! Il est aussi courtois que brave, il aime, il croit, il espère. Tous les romans de la Table ronde respirent l’enthousiasme religieux et chevaleresque. Ils ont apporté au monde un nouveau goût de l’amour et de l’idéal. On peut bien, après cela, excuser la prolixité et l’affectation qui les déparent. Lohengrin tient aux compagnons d’Arthur par son père Parsifal ou Perceval. Il est de même nature. Il est chevaleresque et religieux. Il est profondément