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LA VIE LITTÉRAIRE

comte dont les compagnons effrayés tombèrent à genoux.

Les dames d’honneur étant venues au bruit, le chevalier leur dit :

— Parez Elsa, ma douce épouse, afin que je la conduise devant le roi. Là je lui répondrai et me ferai connaître.

Quand elle fut parée, il la conduisit devant le roi et dit :

— J’accuse à la face du monde la femme à laquelle Dieu m’avait uni de s’être laissé gagner follement à me trahir. Vous avez tous entendu sa promesse de ne jamais me demander qui je suis. Elle a brisé son serment sacré, elle a prêté son cœur aux conseils des méchants. Il faut lui répondre, il faut lui dire qui je suis. Alors, il déclara qu’il était chevalier du Saint-Graal, Lohengrin, fils de Parsifal. À peine avait-il prononcé ce nom glorieux et saint que le cygne qui l’avait amené parut sur le fleuve.

— Adieu, ma douce épouse, dit Lohengrin ; il me faut partir.

Et la contemplant douloureusement, il ajouta :

— Ô Elsa ! j’aurais voulu rester près de toi. Dans un an devait revenir, sanctifié par les vertus du Saint-Graal, ton frère que tu croyais mort… S’il revient plus tard, quand je serai loin de lui dans la vie, donne-lui ce cor, cette épée, cet anneau. Ce cor lui prêtera secours dans le péril, cette épée lui donnera la victoire, cet anneau lui rappellera celui qui prouva l’innocence de sa sœur. Adieu.

En entendant ces paroles, Elsa, brisée par un mortel désespoir, se renversa dans les bras de ses femmes.