Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
TAINE ET NAPOLÉON

d’Ense, Beugnot, madame de Rémusat, etc. Je dirai, au contraire : Napoléon ne s’irritait point de l’injure ; il ne se cabrait point ; et je ne manquerai pas de faits pour le prouver. Le 16 avril 1814, Augereau lança, de son quartier général de Valence, une proclamation royaliste dans laquelle il traitait Buonaparte avec horreur et mépris, lui reprochant de n’avoir pas su mourir en soldat. Huit jours après. Napoléon, se rendant à l’île d’Elbe, rencontra Augereau près de Valence. « L’empereur tendit les bras à Augereau, et tous deux s’embrassèrent. — Où vas-tu comme ça ? lui demanda-t-il en lui prenant le bras familièrement… Napoléon, d’un ton affectueux, fit au maréchal des reproches sur sa conduite envers lui et lui dit en finissant : — Ta proclamation est bien bête ; pourquoi des injures contre moi, toi, mon vieux compagnon ? Il fallait simplement dire : « Le vœu de la nation s’est prononcé en faveur du nouveau souverain, le devoir de l’armée est de s’y conformer. Vive le roi ! » Augereau se mit à son tour à lui faire quelques vives représentations sur son ambition et son entêtement à ne vouloir jamais écouter les avis de personne… Napoléon fatigué se retourna avec brusquerie ; puis, revenant au maréchal, il lui serra la main et lui dit : — Adieu, Augereau ; je trouve étonnant que ce soit toi qui me fasses ces reproches. Allons, embrasse-moi encore. » (Mémoires sur Napoléon et Marie-Louise, par la générale Durand, édit. Calmann-Lévy, 1886, in-12, pp. 221-222.) Napoléon n’est point irrité contre ses ennemis ; il ne veut même pas les connaître. Rentré en 1815 aux Tuileries, il trouve dans le cabinet, abandonné précipitamment par Louis XVIII, des papiers injurieux pour lui. Ils émanent de ses créatures, d’hommes accourus