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LA VIE LITTÉRAIRE

la veille près de lui et qui déjà tiennent ses faveurs. Il songe un moment et se dit : « Nous sommes si volatils, si inconséquents, si faciles à enlever qu’il ne demeure pas prouvé, après tout, que ces mêmes gens ne fussent pas revenus de bon cœur à moi. » Il ajoute en racontant cela plus tard : « Il valait mieux ne pas savoir et je fis tout brûler. » (Mémorial de Sainte-Hélène, édit. de 1842, gr. in-8o, t. II, p. 128).

Il ne demande compte aux citoyens ni de leurs opinions présentes ni de leurs actes passés. Il lui suffit qu’on serve la France.

« C’est, dit-il, parce que je sais toute la part que le hasard a sur nos déterminations politiques que j’ai toujours été sans préjugés et fort indulgent sur le parti que l’on avait suivi dans nos convulsions ; être bon Français ou vouloir le devenir était tout ce qu’il me fallait. » (Mémorial, t. Ier, p. 121.)

En 1814, entouré de complots royalistes, il ne pouvait se résoudre à faire un exemple nécessaire. « Dans de pareilles circonstances, l’autorité, toujours ombrageuse, punit quelquefois jusqu’aux apparences ; dans celle-ci, un prince foible ou cruel n’aurait eu que trop de prétextes pour faire couler des flots de sang !… Mais Napoléon s’était jusqu’alors refusé à sévir, tant le remède des supplices lui inspirait de dégoût. » (Manuscrit de mil huit cent quatorze, par le baron Fain, 1825, in-8o, p. 152.)

M. Taine nous montre Bonaparte dominé par sa sensibilité nerveuse. « Deux fois, dit-il, quand le péril s’est trouvé laid et d’espèce nouvelle, il a été pris au dépourvu… Le 18 Brumaire, dans le Corps législatif, aux cris de : « Hors la loi !» il a pâli, il a tremblé, il a paru perdre absolument la tête… Il a fallu l’entraîner hors de la salle ; même on a cru un