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LA VIE LITTÉRAIRE

(Nouvelle relation de Vitinéraire de Napoléon de Fontainebleau à l’île d’Elbe, par le comte de Waldburg-Truchsess.)

La scène, telle que la générale Durand la décrit, ne confirme pas les conclusions de M. Taine. Sur ce point encore, nous opposons témoignage à témoignage :

« Arrivé à Saint-Canat, il (Napoléon) s’arrêta devant une mauvaise auberge appelée la Calade, située sur la grand’route ; il se mit à table avec Bertrand, sans proférer une parole, et, comme il n’était pas connu de l’hôtesse, qui les croyait tout simplement de la suite de ceux qui l’accompagnaient, il engagea plus tard la conversation avec elle.

» — Eh bien, lui dit cette dernière, que dit Bonaparte maintenant ? Y a-t-il longtemps que vous l’avez quitté ?

» — Non, répondit l’empereur.

» — Je suis curieuse de voir s’il pourra se sauver, continua-t-elle ; je crains que le peuple veuille le massacrer ; mais aussi, avouez qu’il l’a bien mérité, ce coquin-là ! Ah ! çà, dites-moi donc, on va l’embarquer pour son île ?

» — Mais je crois que oui.

» — On le noiera, n’est-ce pas ?

» — Je l’espère bien.

» L’hôtesse étant sortie. Napoléon se retourna vers Bertrand en lui prenant le bras :

» — Vous le voyez, mon ami, à quels dangers ne suis-je pas exposé ! Et vous !… » (Générale Durand, loc. cit., pp. 223-224.)

Quelques pages plus loin, M. Taine cite deux phrases de madame de Rémusat : « Cet homme a été si assommateur de toute vertu… Il ne pardonnait à la vertu que lorsqu’il avait pu l’atteindre par le ridicule. »