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TAINE ET NAPOLÉON

Cette documentation-là est pour établir que Napoléon croyait qu’on ne conduit les hommes que par l’intérêt. « Il était persuadé, dit M. de Metternich, que nul homme appelé à paraître sur la scène publique, ou engagé seulement dans les poursuites actives de la vie, ne se conduisait et ne pouvait être conduit que par l’intérêt. » Et M. Taine entre complètement dans cette pensée de M. de Metternich. Aussi ne cite-t-il aucun des nombreux textes dans lesquels Napoléon demande à la vertu des hommes ce que leur intérêt lui refuserait certainement.

Il croyait aux plus nobles énergies de l’homme. « Tant pis pour ceux qui ne croient point à la vertu. » (Correspondance, lettre du 14 vendémiaire an V, 25 septembre 1797). Il croyait à la vertu jusque dans ses ennemis. « Quand nous apprîmes la délivrance de La Valette, dit Las Cases, nous en tressaillîmes de joie sur notre rocher. Quelqu’un observant que son libérateur Wilson n’était apparemment pas le même que celui qui avait écrit tant de mauvaises choses sur l’empereur : « Et pourquoi pas ? dit Napoléon ; que vous connaissez peu les hommes et les passions !… » (Mémorial, t. Ier, p. 106.)

» Il n’a de considération pour les hommes que celle d’un chef d’atelier pour ses ouvriers », dit encore M. de Metternich. Et M. Taine, aggravant son auteur, ajoute : « ou plus exactement pour ses outils. » Pourtant, si l’outil s’appelle Drouot, Napoléon l’estime encore quand il ne s’en sert plus. « Drouot est un homme qui vivrait aussi satisfait, pour ce qui le concerne personnellement, avec quarante sous par jour qu’avec les revenus d’un souverain. Plein de charité et de religion, sa morale, sa probité et sa sim-