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LA VIE LITTÉRAIRE

II

De tous les portraits qu’on a faits de Napoléon, et on en a fait beaucoup, le moins ressemblant est peut-être celui auquel M. Taine s’est appliqué avec tant de force. Ce n’est pas à dire que M. Taine soit un mauvais peintre. Loin de là. Mais c’est un peintre qui s’est trompé. Il est arrivé à M. Taine ce qui était déjà arrivé, vers 1810, à un élève de David, au peintre Pagnest, et précisément devant le même modèle. Pagnest, mort jeune, a laissé d’excellents portraits. Le Louvre en possède deux de sa main, celui d’un général et celui d’un administrateur. Ce sont des morceaux d’une exécution à la fois large et précise, que les connaisseurs ne se lassent point d’admirer. On ne peut douter qu’ils ne soient ressemblants. Tout ce que l’art peut retenir de la vie qu’il imite a passé dans ces deux toiles. L’une des deux, le portrait de M. de Laneuville, est une des œuvres les plus parfaites de l’école française. On ne saurait imaginer ce qu’elle a coûté à son auteur de temps, d’observation, d’intelligence et de raison. Eh bien ! ce docte Pagnest, cet imitateur si patient, si sagace de la nature, a fait un portrait de Napoléon, et ce portrait n’est pas ressemblant. Tout le monde a pu voir la toile dont je parle à l’exposition des Portraits du siècle. De plus heureux l’ont vue, entourée de chefs-d’œuvre, chez M. Rothan, qui la possède. On n’y trouve ni l’air de tête, ni l’expression, ni