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celant, spirituel, ingénieux, curieusement varié. Il est à la fois un chercheur plein de fantaisie et un constructeur habile. Il a abordé tous les genres de drames et de comédies, c’est le plus divers, le plus souple, le plus fertile en ressources de nos auteurs dramatiques. On n’en est point surpris quand on le connaît. Devant lui, on se trouve en effet en présence d’un esprit dont la curiosité est encyclopédique. Je ne crois pas qu’il y ait une seule chose au monde dont l’intelligence de M. Sardou se soit désintéressée. Ce grand travailleur dont l’œuvre est si considérable vous a, quand on le rencontre, la figure d’un homme qui ne vit que par curiosité, pour savoir ou pour deviner. Chacune de ses pièces a été pour lui l’occasion d’études historiques et archéologiques dans lesquelles il s’est complu, attardé avec délices. C’est ainsi qu’il a vécu tour à tour des heures charmantes à Sienne, à Bruxelles, à Rome.

Mais quand il s’agit même de comédies contemporaines, M. Sardou étudie minutieusement le milieu. Avant d’écrire les Bourgeois de Pont-Arcy, il fit de sa main le plan de la ville imaginaire dans laquelle vivaient les personnages et se déroulait l’action. Je l’ai sous les yeux, ce plan de Pont-Arcy, je dis que le jour où M. Sardou l’exécuta, ce jour-là, il créa la géographie philosophique. Pont-Arcy, c’est une vraie ville de France, avec ses antiques remparts devenus des promenades, son château fort, ses couvents, son vieux pont sur l’Orge, la ville haute aux ruelles tortueuses, la ville basse couverte de fabriques que la rivière alimente, la ville neuve régulièrement formée en vingt ans, aux abords de la gare. C’est une vraie ville oii tous les âges ont laissé des souvenirs ; une ville type : qui la connaît en