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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/131

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page, mais elle montra beaucoup de courage et de dignité lors de la mort de son mari. Elle mourut un an après lui, laissant Jeanne seule au monde.

— Clémentine, m’écriai-je !

En apprenant ce que je n’avais jamais imaginé et ce dont la seule idée eût révolté toutes les énergies de mon âme, en apprenant que Clémentine n’était plus sur la terre, il se fit en moi comme un grand silence, et le sentiment qui me remplit tout entier fut, non pas une douleur vive et aiguë, mais une tristesse calme et solennelle ; j’éprouvai je ne sais quel allégement et ma pensée s’éleva tout à coup à des hauteurs inconnues.

— D’où vous êtes aujourd’hui, Clémentine, dis-je en moi-même, regardez ce cœur maintenant refroidi par l’âge, mais dont le sang bouillonna jadis pour vous, et dites s’il ne se ranime pas à la pensée d’aimer ce qui reste de vous sur la terre. Tout passe, puisque vous avez passé ; mais la vie est immortelle ; c’est elle qu’il faut aimer dans ses figures sans cesse renouvelées. Le reste est jeu d’enfant, et je suis avec tous mes livres comme un petit garçon qui agite des osselets. Le but de la vie, c’est vous, Clémentine, qui me l’avez révélé.